SpyGate – L’église des ombres du froid
A chaque visite, le même frisson. Epimethée savait pour ce lieu de rendez-vous était symbolique pour les espions évoluant en France. L’église de Sainte Geneviève de Feucherolles est un haut fait d’embuscade. Une opération ratée, mais un lieu d’échange d’informations entre l’Est et l’Ouest.
« Une place pour la trahison », songea Sir Richard Brown, alias Epimethée, en complet marron et impaire beige clair touché par la chaleur du soleil d’hiver naissant.
Assis dans le silence, une silhouette qu’il connait que trop bien. Chaque trimestre la même scène se reproduit en hommage. C’est ici même que le fonctionnaire d’état George Pâque avait été suivi le 8 août 1963 par le contre-espionnage français alors qu’il avait rendez-vous avec son contact du KGB. Méfiant Pâque avait fait demi-tour. Le contact n’est jamais venu. Deux jours plus tard, la DST convaincu d’un rendez-vous manqué interpelle le fonctionnaire français à la sortie de son bureau de l’Otan, porte Dauphine. La première grande victoire des services français face à l’Est à l’époque.
La silhouette se leva lorsqu’elle entendit les pas de Brown. Son sourire était toujours charmant et les manières toujours expressives.
– Bonjour Sir Épiméthée !
Cette désignation fait toujours sourire Sir Richard Brown lorsque son ami la prononce. Il lui rendit la pareille:
– Bonjour mon cher Alex, comment vont les affaires ? Visiblement perturbée…
Alexeï Rublev est un des hommes du FSB attaché au sport. Une vieille tradition héritée du KGB. Un ingénieur comme il est officiellement désigné pour l’occident, gérant un laboratoire à Moscou et surtout l’un des gradés rapportant directement au numéro deux, Oleg Syromolotov.
Alexeï élude la question d’un revers de main.
– Il n’y a rien officiellement. Tu t’en doutes bien Richard. L’occident cherche à nous nuire jusque dans le sport.
Il éclate de rire.
Esquissant un sourire, Sir Richard Brown lève les yeux sur le tableau de l’institution de la Rosière, surplombant le maître autel. Une œuvre symbolique représentant la Vierge qui apparaît à Saint Dominique et lui remet un chapelet devant permettre à ce dernier de triompher de l’hérésie albigeoise guidée par le catharisme. Contrairement à la doctrine catholique, les cathares considèrent qu’il existe deux principes supérieurs, le bon (Dieu) et le mal (Satan). La création du monde, imparfaite, relève du mal et les cathares doivent s’extraire de leur prison charnelle pour retourner à Dieu. La douce époque des croisades…
– Il semblerait que l’accord entre une certaine équipe anglaise et un constructeur tarde à se mettre en place… lâche doucement Alexeï.
L’heure de la confession a débutée, estima Sir Richard Brown.
– Nous avons entendu qu’avant la signature du constructeur ayant permis de sauver l’équipe du dépôt de bilan à Londres. Un accord a été conclu. C’est un avatar de celui signé en 2009 entre les deux parties. A l’époque le fond Lamassu Capital avait promis 40 millions d’euros par année dans le budget de l’équipe pendant trois ans, pour emporter le morceau. Ici c’est la même chose. Le constructeur a demandé que Lamassu garantisse au moins 40/50 millions d’euros dans le budget de l’équipe pour 2016 et peut-être pour l’avenir.
– Jusqu’à présent elle l’avait fait avec des prêts, mais depuis deux saisons ils ont réduit la voilure avec ce soutien Vénézuélien, coupe Sir Richard Brown.
– Un soutien qui a eu beaucoup de mal à se concrétiser au-delà de cette saison entre l’équipe et le pétrolier. Tu sais ce que c’est dans ce genre de pays, il faut savoir convaincre, sourie Alexeï Rublev.
Message entendu. L’ingénieur russe continu.
– Ainsi, rapidement Lamassu a promis des choses, dont je ne sais pas encore ce qu’il en est, au pétrolier pour obtenir 45 millions d’euros pour la saison 2015. Ainsi, fort de l’accord, ils ont rempli leur partie du contrat…
– …reste plus qu’au constructeur de faire la sienne et pendant ce temps l’équipe survie.
– Elle survivra, d’une manière ou d’une autre, glissa froidement Alexeï qui se leva brusquement, salua son ami et glissa sa silhouette jusqu’à la sortie de l’Eglise.
Cent vingt secondes plus tard, Épiméthée posa un pied sur la petite place devant la porte du lieu saint. Il tourna la tête sur la droite, puis à gauche. Les ombres du froid avaient disparus.